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Recherches participatives : dépasser les cloisonnements

Face à la complexité des enjeux environnementaux, sociaux et économiques actuels, renforcer la collaboration entre la recherche et la société est devenu essentiel. En redéfinissant le rôle des citoyen·nes dans la production scientifique, les recherches participatives visent à co-construire des savoirs plus adaptés aux enjeux actuels. 

Face aux défis sociétaux et environnementaux actuels, les institutions scientifiques doivent répondre aux attentes de la société tout en renforçant une relation parfois fragilisée avec elle. Les recherches participatives, en plein essor ces dernières années, regroupent des démarches variées qui associent chercheur·euses et acteur·ices de la société civile. Selon les projets, l’implication peut aller de la simple collecte de données par le public à une collaboration approfondie entre citoyen·nes et scientifiques, comme en témoigne ce graphique :

Échelle des niveaux d’engagement dans les recherches participatives : de la collecte de données au partage des responsabilités- graphique modifié d’après Hacklay M. 2013

Bernard Ancori, professeur émérite d’épistémologie et d’histoire des sciences et des techniques à l’université de Strasbourg, a consacré une grande partie de sa carrière à explorer ces nouvelles formes de collaborations entre sciences et société. Précurseur dans ce domaine, il a participé à plusieurs initiatives novatrices, et pour lui, ces démarches ne sont pas de simples outils méthodologiques puisqu’il voit les recherches participatives comme « de nouvelles manières de faire de la science ».

Bernard Ancori a joué un rôle clé dans le développement des recherches participatives en France. En tant que premier vice-président « Sciences en société » d’une université française entre 2009 et 2012, il a œuvré pour rapprocher les mondes académiques et non académiques, notamment à travers le programme REPERE, qui favorise l’intégration des associations environnementales dans la recherche. Au fur et à mesure de son parcours, Bernard Ancori s’est notamment intéressé aux formes les plus radicales des recherches participatives, c’est-à-dire les démarches où citoyen·nes et scientifiques partagent la responsabilité du projet (niveau 4 sur le graphique). Il cite par exemple le projet de recherche action participative VITIREPERE, qui a permis « d’hybrider » les savoirs scientifiques et de terrain pour mieux répondre aux enjeux environnementaux. Ce projet est un exemple marquant de recherche-action participative, dans lequel chercheur·euses, viticulteur·ices, citoyen·nes et associations environnementales collaborent étroitement depuis plusieurs années pour concevoir des pratiques viticoles plus durables. Comme le souligne Bernard Ancori : « Ce projet a permis de réunir des acteurs de divers horizons pour co-construire des solutions aux impacts négatifs de la viticulture sur l’environnement. Ce travail collaboratif a d’ailleurs déjà entraîné des changements dans les pratiques de certains agriculteurs vers des pratiques plus durables. » Témoignant ainsi du potentiel transformateur de telles démarches.

Les recherches participatives se situent à la croisée de dimensions fondamentales : épistémologiques, sociales et politiques. Pour Bernard Ancori, l’aspect épistémologique est particulièrement fascinant, car ces démarches interrogent les notions traditionnelles de vérité et d’objectivité scientifique. « C’est dans les formes radicales des recherches participatives, où acteurs académiques et non académiques collaborent réellement à plusieurs étapes du processus de recherche, que ces grandes questions épistémiques se posent pleinement », explique-t-il. Dans ces démarches, des savoirs issus de l’expérience des citoyen·nes, comme les pratiques de terrain, sont intégrés à la production des connaissances. Cette intégration remet en cause les critères classiques de validation scientifique, qui privilégient habituellement des méthodologies contrôlées et reproductibles, pour garantir des résultats jugés neutres et objectifs. Ici, la subjectivité des participant·es, loin d’être exclue, est reconnue comme une source d’enrichissement, mais cela complique l’établissement de résultats considérés comme totalement « objectifs ».

Cependant, toutes les recherches participatives ne parviennent pas à cet idéal de collaboration. « Aujourd’hui, ces démarches sont devenues très à la mode, mais elles prennent souvent une forme édulcorée, où les acteurs non académiques se limitent au rôle de collecteurs de données. Dans ces cas, je n’y vois aucun intérêt épistémologique, puisque le processus scientifique reste inchangé », regrette Bernard Ancori. À l’inverse, dans les approches plus ambitieuses, où les points de vue variés – scientifiques et non-scientifiques – se mêlent à chaque étape, les savoirs produits ne se contentent pas d’élargir notre compréhension du monde : ils redéfinissent ce que nous considérons comme valide et pertinent. Ces recherches invitent ainsi à repenser la légitimité et la validation des savoirs.

Malgré plusieurs défis, les recherches participatives incarnent une vision audacieuse pour l’avenir de la science. Elles visent à décloisonner les disciplines, rapprocher des mondes généralement isolés et redonner à la société un rôle central dans la production des savoirs. « Les disciplines se referment de plus en plus, tout comme les gens, qui ont de plus en plus de mal à se comprendre », observe Bernard Ancori. Il voit dans les recherches participatives un moyen de dépasser ces cloisonnements : « La société s’organise en ‘tribus’, et les recherches participatives permettent de les ouvrir, en faisant dialoguer des mondes différents. Mais cela nécessite du temps, notamment pour trouver un langage commun et c’est ici qu’interviennent des médiateurs tels que les tiers-veilleurs ». Ces acteurs clés capables de faciliter la communication et de bâtir des ponts entre acteur·ices académiques et non-académiques.

La société s’organise en ‘tribus’, et les recherches participatives permettent de les ouvrir, en faisant dialoguer des mondes différents.

En définitive, certaines formes de recherches participatives appellent à une réflexion profonde sur la manière dont nous concevons la science et son rapport à la société. Si ces démarches sont encore loin d’être pleinement intégrées et comprises, elles offrent un modèle prometteur pour une science véritablement connectée aux enjeux du monde d’aujourd’hui.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emma Tapin (20 décembre 2024). Recherches participatives : dépasser les cloisonnements. Le Grand public. Consulté le 10 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zd4


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