Jeu vidéo et Bande Dessinée : les deux étoiles montantes de la vulgarisation scientifique

Développés depuis une dizaine d’années dans des initiatives telles que la Scientific Game Jam ou « Tu mourras moins bête », le jeu vidéo et la BD semblent aujourd’hui séduire des institutions haut placées telles que l’Inserm ou le Ministère de la Transition écologique pour raconter la science autrement et ainsi répondre au besoin insatiable de savoir de tous les publics.
De nouveaux besoins
Les vulgarisateurs, vulgarisatrices et sociologues le disent : il est essentiel de trouver de nouveaux formats pour parler de sciences ! En effet, bien que nous soyons dans une ère ultra-connectée qui peut répondre au besoin d’apprendre et de savoir d’un grand nombre d’entre nous, trier les fake news des vraies informations reste parfois un défi. De plus, il faut lutter contre l’intimidation qui peut être provoquée par l’image du chercheur, encore placé dans son rôle de sachant, dans des événements classiques tels que la Fête de la Science, installée depuis 1992. Ou même contre le rejet pur et simple de toute forme de transmission de connaissances ressemblant à l’enseignement que peuvent ressentir des publics ayant développé un désamour du système scolaire. Rendre la science accessible à toutes et tout passe donc par imaginer de nouvelles façons d’en parler, ou par l’investissement de nouveaux lieux non imprégnés de cette aura de savoir.
La Scientific Game Jam : un double effet kiss cool (voire triple)
2014 voit ainsi l’émergence de la Scientific Game Jam. À Strasbourg, la première édition a eu lieu en 2023 au Shadok, tiers-lieu dédié à la découverte numérique, et y revient pour une seconde édition en mars 2025. Ici, nouveau lieu et nouveau format s’allient pour proposer une tout autre expérience : un hackathon ! En d’autres mots : un marathon créatif. Le challenge ? Réaliser en 48 h un jeu vidéo sur la base du projet de recherche d’un(e) doctorant(e) ou d’un(e) post-doctorant(e) en alliant, au sein d’une équipe : un(e) scientifique, un(e) game artist, un(e) game designer, un(e) sound designer et un(e) game developer.

Support de communication de la Scientific Game Jam 2025 sur Instagram
Un défi relevé par Yasmine Amrani pendant sa thèse, aujourd’hui docteure en biologie moléculaire et virologie. « J’avais fait beaucoup de vulgarisation avant la thèse, notamment en participant à la compétition iGEM qui dure neuf mois, mais qui reste dans un format assez classique. C’était plus difficile pendant la thèse, alors j’ai voulu faire quelque chose qui change » témoigne-t-elle. Pour Yasmine, la force de la Scientific Game Jam est qu’elle fédère différents mondes pour co-construire un projet. Les bénéfices d’un tel hackathon sont ainsi doubles : d’une part, les chercheuses et chercheurs bénéficient de la multitude des compétences présentes dans une équipe pour présenter leur recherche sous une nouvelle forme vulgarisée. Et d’autre part, les autres membres de l’équipe repartent avec plus de connaissances sur un sujet, mais aussi et surtout, avec le sentiment que la science est finalement à portée de main pour tout le monde, sentiment qui n’est pas toujours présent au début de l’aventure.
Selon Yasmine, « si on leur disait qu’on pouvait faire un jeu vidéo avec leur recherche, je pense que beaucoup de scientifiques signeraient. On est un peu geek. ». Un nouveau souffle pour les chercheuses et chercheurs donc, mais aussi pour le public, avec ce format jeu vidéo disponible en ligne après chaque Scientific Game Jam qui change complètement. « Un jeu, qu’on le veuille ou non, aujourd’hui ça parle à tout le monde. Il y a même des personnes âgées qui jouent à Pokémon Go ! » ajoute Yasmine, persuadée que la gamification deviendra un outil pédagogique important dans ce monde ultra-connecté. Un fait que le Ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques a bien intégré : ce ministère a en effet lancé une collaboration avec le jeu Fortnite pour sa troisième édition de la campagne de sensibilisation à l’Info-tri. Le jeu Tri’Athlon, qui a pour but de sensibiliser aux techniques de tri et à la signalétique Info-tri, est ainsi en ligne et la compétition pour les meilleur(e)s joueuses et joueurs est ouverte jusqu’en janvier 2025.
La science mise dans des cases : quand la BD séduit les institutions
Le jeu vidéo n’est pas le seul nouveau format que des institutions haut placées comme le Ministère de la Transition écologique valorise. D’aucuns pourraient dire que mettre la science en BD n’est pas si nouveau. La première thèse mise en cases date en effet de 1976 : il s’agit du manuscrit de thèse de Serge Tisseron, docteur en psychologie. D’autres citeront peut-être les « Tu mourras moins bête » de Marion Montaigne du début des années 2010. Cependant, les BD financées par des institutions ne semblent monter en puissance que depuis quelques années. Par exemple, la Fête de la science ne publie la BD « Sciences en Bulles » que depuis 2019 pour parler de divers sujets de thèse. D’après ses archives en ligne, la Fondation pour la Recherche Médicale publie, elle aussi, des BD depuis 2019, d’abord signées par Lison Bernet, et plus récemment par Camille Van Belle. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), quant à lui, a publié sa première BD « InScience, cultive ta santé » réalisée par Maïté Robert en 2023. L’institut a réitéré en 2024 avec un tome deux réalisé par la même autrice ainsi qu’avec une BD dédiée aux chercheuses de l’Inserm impliquant cette fois-ci cinq illustratrices. L’antenne alsacienne du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) a tout récemment publié son premier « BDécouvrons », également réalisé par Camille Van Belle.
Un format BD qui prouve toute sa pertinence pour toucher des publics peu ou pas intéressés par la science, ou qui la jugent trop difficile d’accès, dans le témoignage de Camille Van Belle au micro d’EbulliScience. La journaliste scientifique et dessinatrice confie en effet qu’en dédicace, elle vide parfois son stock de BD « Les Oubliés de la science » dans le sac de personnes n’ayant pas d’appétence particulière pour les sciences.
« Quand je fais une dédicace, je fais un petit dessin, et donc je leur demande quel oublié je leur dessine, ou leur science préférée. Et souvent, ils disent « Ah moi la science, je m’en fous complètement. Et la BD, ça ne me plait pas non plus. » Et ils achètent quand même, ça les intéresse. ».
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Joëlle Bizeau (20 décembre 2024). Jeu vidéo et Bande Dessinée : les deux étoiles montantes de la vulgarisation scientifique. Le Grand public. Consulté le 11 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zd6